Bio-21 : Triste solitude ou tristesse solitaire

Bio-21 : Triste solitude ou tristesse solitaire

Je me suis réveillé ce matin (23 septembre 2023) avec une envie de pleurer que j’ai extériorisée avec quelques larmes, doucement, en cachette. Je m’étais couché avec, dans ma tête, la détresse de ma cliente anxieuse, carencée et seule au monde, pour aboutir avec ma propre solitude. Celle que je ressens encore aujourd’hui quand je suis loin de mes proches ou lorsque, parfois, je me retrouve seul dans une grande maison vide.

 Et celle qui remonte, venue tout droit de l’enfance et de l’adolescence. Comme dans ce dessin que j'ai fait dans un cours d'art-thérapie pour illustrer une blessure d'enfant. Mon éloignement, c'est le titre que je lui ai donné. Parce que j'étais très loin de ma mère ce jour là. J'avais refusé d'aller dans l'eau avec elle, mon frère et ma petite soeur. J'avais trop peur de l'eau du lac Champlain et j'étais donc resté là, seul sur la plage, avec ma peur. Dans une solitude triste et effrayante. 

On dort les uns contre les autres
On vit les uns avec les autres
On se caresse, on se cajole
On se comprend, on se console
Mais au bout du compte
On se rend compte
Qu'on est toujours tout seul au monde

(Les uns contre les autres1)

C’est fou comme je me suis souvent senti seul, malgré la présence des autres, comme celle de ma mère, de ma sœur, de mon frère. Comme si leur présence n’était pas une vraie présence. Je ne les sentais pas là, réellement avec moi. Je pense qu’ils étaient bien trop préoccupés par eux-mêmes pour s’intéresser vraiment à moi ou à mon vrai moi. Je restais là, à les écouter, à commenter leurs propos sans vraiment parler de moi. Mais on ne me demandait pas comment j’allais. Ma mère prenait soin de moi, me donnait tout ce qu’elle pensait que j’avais besoin sans me le demander vraiment. Je réalise combien j’avais besoin d’être aimé, cajolé et rassuré. Mais je ne demandais rien, pour ne pas déranger peut-être, ou parce que j’avais renoncé à de plus grands rapprochements. À l’exception d’une seule chose que je demandais tous les soirs. Une fois la tête sur l’oreiller, je criais : « Maman ! Viens me donner mon bec ! » Elle venait, me serrait dans ses bras, m’embrassait sur le front ou la joue et me souhaitait une bonne nuit. Ça a duré probablement jusqu’au milieu de l’adolescence. Souvent, je réussissais à m’endormir tout de suite après mais, parfois, j’étais trop anxieux pour m’endormir. Comme si j’avais senti la détresse de ma mère. Dans ce temps-là, j’attendais de l’entendre ronfler – elle ronflait très fort avec ses difficultés respiratoires – et là, comme si je sentais qu’elle se reposait enfin, je pouvais moi-même me détendre.

Je jouais toujours tout seul. Je me vois avec mes petits hommes vert kaki (figurines de soldats en plastique), mes « peaux rouges », – mes autochtones étaient littéralement en plastique de couleur rouge – mes cowboys vert forêt et mes chevaux noirs ou blancs. Je m’inventais des histoires qui, plus tard, se sont transformées en BD et en romans inachevés.

Je me rappelle aussi qu’un de mes jeux préférés était de me battre avec l’homme invisible. Avec n’importe quel bâton en guise d’épée, je fendais l’air jusqu’à ce que je sois atteint mortellement. Ça se terminait toujours de la même manière, moi qui s’écroulait en plusieurs étapes avant d’agoniser pendant de longues minutes de souffrance, jusqu’à la mort. Je m’amusais à me faire tuer. Et mon homme invisible était vraiment invisible, il ne m’apparaissait sous aucune forme d’ami imaginaire. J’étais seul et je jouais à me battre et à mourir. Je pense qu’en jouant à mourir, je provoquais un relâchement musculaire qui me procurait le plus grand bien. Relâchement que je me reprocure tous les soirs – ou tous les après-midis – quand je m’endors. Après tout, dormir, c’est comme mourir un petit peu, temporairement.

J’ai peu de souvenirs d’enfance où je suis en train de vivre des bons moments en groupe. En fait, j’ai un vague souvenir d’avoir été un jour le « King » de la maternelle. Il me semble que, pendant plusieurs jours (ou semaines), j’ai été entouré par un groupe d’enfants qui me suivaient comme si j’étais un chef. Comme s'il y avait un petit leader dans l’enfant spontané que j’étais en arrivant à l’école. Ce souvenir est vague, à un point tel que je me demande si je ne l’ai pas rêvé. Et il est suivi par un grand sentiment de rejet, comme si, sans que je ne sache pourquoi, on s’était mis à me rejeter et que je m’étais retrouvé isolé, complètement seul.

Il y a quelques années, un « ami » d’enfance a repris contact avec moi. Un ami qui est maintenant un artiste peintre accompli. J’ai eu envie de le revoir parce qu’il était sympathique. J’aimais ce qu’il était devenu et comment il m’avait abordé. Il se souvenait des moments de son enfance qu’il avait passés avec moi. Il me raconta le plaisir qu’il avait de venir jouer chez moi. Il parait que ma mère laissait plein de jeunes du quartier venir jouer à la maison. Je pense qu’on jouait même au hockey dans le grand salon double. Encore une fois, pour moi, le souvenir de ces jeux est vague, alors que pour lui, il semblait encore très vivant quand il l'évoquait. Donc, pendant une courte période de mon enfance, je n’étais pas réellement seul.

Et pendant une autre partie de mon enfance, j’étais toujours avec ma sœur et mon cousin Yvan. Je n’étais pas seul, mais j’étais laissé à moi-même. On partait ensemble pour se promener n’importe où à Montréal, mais j’avais l’impression d’être la personne en charge du groupe, le seul responsable. Je n’allais jamais quelque part tout seul, j’étais très anxieux socialement, mais avec les autres, en tant que petit leader silencieux, je devenais plutôt aventureux.

 

 


Youhou ! C’est moi ! La tortue ponctuelle, le champion maladroit des sports qui tue de rire mes copains… hein ! hein ! hein ! La taupe solitaire ou le poisson muet que l’on trouve ridicule… hu ! hu ! hu ! Oui, oui, c’est moi, je sais. Mais dans mon troupeau d’amis, ma voix de perroquet s’éveille et dévoile qui je suis… hi ! hi ! hi ! Un beau gros manchot bonasse… ha ! ha ! ha ! Qui recherche la joie de la loutre et la paix de la colombe dans sa vie… hi ! hi ! hi ! Je salue, enfin, et remercie… si, si, si… tous mes professeurs et amis… hi ! hi ! hi ! À bientôt… ho ! ho ! ho !

(José, 17 ans, album des finissants de la Polyvalente Jeanne-Mance, 1980-1981)

 



Adolescent, je me suis réfugié dans ma chambre. Isolé comme ça, je pouvais continuer mes jeux imaginaires, m’exprimer dans le dessin et l’écriture et fantasmer sur Jaclyn Smith et les autres… Et à l’école, je circulais la plupart du temps seul, « entre la peinture et les murs », comme si j’essayais moi-même d’être invisible. Pendant tout mon secondaire, à la polyvalente, je ne parlais qu’à quelques amis (Jean-Pierre, Donald, Roger et Alex). La plupart du temps, je me sentais seul, rejeté, ridicule, anormal et incapable d’entrer en relation. Il m’arrivait de ne même pas répondre au prof s’il me parlait directement devant les autres. Et les exposés oraux étaient de véritables tortures, sauf si je pouvais jouer un rôle. Je m’épanouissais un peu plus dans les « créations collectives », quand je montais, même avec d’autres, un spectacle de marionnettes, un sketch, un show de variétés ou une pièce de théâtre.

Et dans mes relations avec les filles, je me sentais encore plus seul. Je ne leur parlais presque jamais, mais je remplissais les pages de mon journal intime. Et j’ai eu ma période poésie d’ado. Dont voici un spécimen que je trouve relativement long, répétitif et pénible mais qui me semble très à propos aujourd’hui, en plus d’avoir été écrit dans la période que je vous décrivais dans le précédent article. On dirait une chanson un peu kétaine de l’époque.

Mon amour triste.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste d’être seul sur le chemin d’amour.
Mon amour est seul, oui seul,
Seul et triste sur le chemin d’amour.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste d’aimer sans être aimé.
Mon amour est seul, oui seul,
Seul à aimer sans être aimé.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste d’avoir peur sur le chemin d’amour.
Mon amour a peur, oui peur,
Peur d’être toujours seul sur le chemin d’amour.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste d’aimer seul sans être aimé.
Mon amour a peur, oui peur,
Peur d’être seul à aimer sans être aimé.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste de vivre seul sur le chemin d’amour.
Mon amour veut vivre, oui vivre,
Vivre à deux sur le chemin d’amour.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste de vivre d’amour sans être aimé.
Mon amour veut vivre, oui vivre,
Vivre deux à s’aimer et à s’aimer.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste de ne pas être deux sur le chemin d’amour.
Mon amour ne peut, oui ne peut,
Ne peut vivre seul sur le chemin d’amour.

Mon amour est triste, oui triste,
Triste d’aimer avant d’être aimé.
Mon amour ne peut, oui ne peut,
Ne peut aimer avant d’être aimé.

Mais,
Mon amour, un jour, oui un jour…

Mon amour sera heureux, oui heureux,
Heureux de vivre à deux sur le chemin d’amour.
Mon amour vivra, oui vivra,
Vivra dans le bonheur sur le chemin d’amour.

Mon amour sera heureux, oui heureux,
Heureux de vivre d’amour, d’aimer et d’être aimé.
Mon amour vivra, oui vivra,
Vivra dans un monde qui aimera et sera aimé.

Mais oui un jour,
Mais oui toujours,
Mon amour vivra l’amour, oui l’amour,
L’amour pour l’éternité.

(José, 16 ans, 25 août 1980)

 

À suivre dans : Bio-22 : Inspiration existentielle
Fait suite à : Bio-20 : Journal aux puces


-----------------------------------------------------------------------
Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)


Fig. 1 : Œuvre de José (2016, 8 mai). Mon éloignement. Technique mixte : aquarelle, crayons de couleur, encre et pastel gras sur papier, 12 X 16 pouces.

Fig. 2 : José jouant avec ses petites figurines dans le salon. Entre 10 et 12 ans (1974-1976). Photographe inconnu.

Fig. 3 : Œuvre de Claude Lépine (s.d.) Le temps brisé. Technique mixte acrylique, 48 X 48 pouces. N.B. : J’ai la chance d’avoir une reproduction de cette toile sur mon mur. Pour découvrir davantage cet artiste : https://www.claudelepineartistepeintre.com/ 

Fig. 4 : José, 17 ans, photo dans l’album des finissants de la Polyvalente Jeanne-Mance, 1980-1981.

1 : Extraits des paroles de Les uns contre les autres, dans la comédie musicale Starmania. Interprété par Fabienne Thibeault en 1978. Musique de Michel Berger / Paroles de Luc Plamondon.

 

N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.

 

MPMC

Please publish modules in offcanvas position.