Commençons par une petite histoire de peur :
Pour Joseph, demain est un grand jour. Il va enfin lire publiquement un poème sur sa mère décédée il y a un an, en l'honneur de son père qui vient de se remettre d'un cancer. Un doute l'envahit en le relisant. Exprime-t-il suffisamment bien ses émotions? Et l'inquiétude progresse au fur et à mesure qu'il essaye de corriger ses fautes d'orthographe. Il ne veut pas écorcher les oreilles de son père, professeur de français à la retraite. Compulsivement, il raye quelques fautes mineures en se félicitant de les avoir découvertes. Soudain, il sursaute à la sonnerie du téléphone. Son cœur bat la chamade quand il reconnaît la voix angélique de sa cousine Natacha, son premier amour inavoué.
Elle lui annonce qu'elle sera là demain pour l'entendre et – nouvelle montée d'adrénaline – lui faire une surprise. La connaissant, il sait qu'elle va encore lui présenter une de ses nouvelles amies – elle a hâte de le savoir « casé ». Il raccroche, plus nerveux qu'avant. Et il se met à échafauder de nouveaux scénarios, tous plus farfelus les uns que les autres, sur la façon de se débarrasser de sa « date » indésirable.
Puis, il se rappelle que l'éditeur qu'il a approché pour son recueil de poèmes sera présent lui aussi. Une deuxième rencontre qui devrait enfin concrétiser son rêve de publication. Si tout va bien. Ses mains se mettent à trembler. Il sent des palpitations dans sa poitrine. Il a soudain peur de s'évanouir et de tomber. En flashback, il revoit sa mère s'écrouler sur le tapis, foudroyée par une crise cardiaque. Il fait des efforts pour se calmer, conscient que les troubles cardiaques sont héréditaires et que, depuis quelques mois déjà, il en ressent les symptômes chaque fois qu'il fait des efforts physiques. Il n'est vraiment pas en bonne santé, pense-t-il, inquiet. D'ailleurs, en se regardant dans le miroir, il ne peut s'empêcher de faire une grimace. Il se trouve tellement gros. Et il perd patience envers lui-même en commençant une série d'auto-critiques du genre : « Je suis juste un gros paresseux ! » Il réalise du même coup qu'il a dépensé une fortune pour un abonnement à un centre sportif qu'il n'a fréquenté qu'une seule fois par mois cette année.
L'anxiété et la culpabilité s'élèvent une fois de plus alors que, dans une tentative désespérée pour se calmer, il se jette frénétiquement sur un gros sac de croustilles et une bonne bière. Et il se demande en sirotant sa dernière gorgée s'il n'est pas en train de développer un sérieux problème de consommation. Sa montre lui rappelle que le temps passe et qu'il n'a pas terminé son texte. C'est de sa faute aussi, il ne fallait pas attendre à la dernière minute pour le faire. Il s'en veut d'autant plus qu'il a demandé un congé à son patron en lui faisant croire qu'il était malade. Il se sent minable d'avoir menti, d'avoir manqué de courage et de confiance en lui. Il sursaute lorsqu'on frappe à la porte. C'est une visite d'un sous-locataire potentiel qu'il avait oubliée. Merde ! Son ménage n'est pas fait. Il se confond en excuses, surtout en ouvrant la porte de sa chambre en désordre. Gêné, il se dépêche de ramasser et, par malheur, se frappe le gros orteil sur sa table de chevet en chêne massif. Il hurle de douleur ce qui, malheureusement, réveille son poupon endormi. Les décibels du petit ont tôt fait de faire fuir le visiteur qui ne cache pas sa désapprobation. Quel mauvais père, mauvais homme et mauvais locataire fait-il donc?
Après maintes vérifications, il ne comprend pas pourquoi son bébé pleure encore. Il n'en peut plus et il a soudain envie de le jeter au bout de ses bras, désir instantanément condamné. Épuisé, il fond en larmes avec en tête d'autres pensées désagréables et incessantes : « Je suis un bon à rien. J'ai toujours été un mauvais mari et un mauvais père. Un chômeur chronique. Un fils indigne. Un poète de quatre sous. » Avec tout ça, il a manqué sa télésérie préférée qui aurait pu le calmer avant de lui-même se coucher, une fois le bébé endormi. Mais aussitôt la tête sur l'oreiller, le voilà qui n'arrête pas de gigoter. Lorsque, enfin, il s'endort, c'est pour tomber en plein cauchemar. Finalement, il se réveille en sursaut. Le soleil se lève à peine mais son ex- est déjà là, le critiquant déjà parce que le bébé n'est pas prêt à l'heure – comme toujours ! – et que c'est inconcevable de la faire attendre ainsi. Ça ne lui en prend pas plus pour l'engueuler à son tour et se décharger sur elle de toutes les frustrations des dernières semaines.
Finalement, c'est une fois à la salle de conférence qu'il réalise qu'il a une terrible extinction de voix.
Et on pourrait continuer comme ça, sans fin… parce que, pour quelqu'un d'anxieux, l'inspiration pour des scénarios catastrophiques est inépuisable.
Avec une aventure pareille, difficile de croire que l'anxiété est une amie qui vous veut du bien. Pourtant, même dans cette histoire de peur, l'anxiété est demeurée, à plusieurs reprises, la meilleure amie de Joseph. Si vous êtes persuadé du contraire, vous manquez probablement, comme Joseph, d'écoute envers vos bons amis. Pensez-y un peu et vous trouverez des situations où l'anxiété s'est montrée une alliée importante. Si vous avez fait de la scène, vous vous rappellerez sûrement toutes les fois où vous avez apprécié le petit coup de fouet de M. Trac (le petit frère de Mme Anxiété). Quel pilote d'avion n'a pas appris à cohabiter avec son stress et son adrénaline pour réussir ses plus belles cascades? Comment pourrions-nous échapper à un ours sans ressentir une activation de notre système de défense et de fuite? Sans inquiétude, comment avoir des comportements prudents? Sans peur, comment éviter les dangers?
Je crois que notre amie l'anxiété est, sous sa forme d'origine, un excellent système d'alarme qu'il ne faut surtout pas ignorer. Comme le détecteur de fumée, elle peut nous sauver la vie. Car, comme dit le proverbe, il n'y a jamais de fumée sans feu. Et, même si parfois on doit sursauter à ses hurlements stridents pour une simple toast brûlée, il est toujours plus prudent de ne pas en retirer les piles. Donc, comme une amie, l'anxiété a besoin tout d'abord d'être écoutée à sa juste valeur, après quoi, nous pourrons mieux y répondre, la manipuler ou la fuir si c'est nécessaire à notre mieux-être. C'est une bonne amie quoi!
Je vous propose donc, dans ces premières chroniques sur l'anxiété, quelques façons de faire la paix avec votre amie, d'apprendre à l'écouter, la reconnaître, lui répondre ou l'utiliser de façon plus efficace. Plus tard, d'autres chroniques traiteront des méthodes à utiliser pour vous aider à composer avec une amie qui serait devenue votre ennemie. Pour l'instant, j'espère qu'à la fin de ces premières chroniques, vous puissiez relire une histoire de peur en étant capable de reconnaître toutes les fois où le fait de mieux écouter son anxiété aurait pu contribuer à éviter l'angoisse, la dépression, la colère ou l'extinction de voix de Joseph. Car, n'ayez aucun doute que toute cette petite histoire aurait pu être un merveilleux moment de vie si Mme Anxiété avait été écoutée un peu plus tôt. Mais, que voulez-vous, Joseph se comportait comme quelqu'un qui entend son alarme à incendie mais qui ne bouge pas jusqu'à ce que ce soit insupportable. Étrangement, nous sommes trop souvent enclin à cette attitude d'autruche qui conduit inévitablement aux mêmes conséquences que celui qui retire les piles de son détecteur et qui continue à fumer au lit.
Attention, après le beep sonore, écoutez bien; votre amie Anxiété a un message pour vous... Beeeep!
À suivre dans : Anxiété 2 - Choisir d'écouter votre messagerie des émotions.