Bio-19 : Étrange journal post-référendaire

Bio-19 : Étrange journal post-référendaire

C’est étrange comme on passe vite à autre chose quand on a 15 ans. Après un référendum perdu, je ne parle plus de politique dans mon journal. Je décris ce qui semble avoir été une réaction des jeunes face à la victoire du NON, mais sans plus. Et je ne suis même pas sûr de ce que je raconte tellement ça semble sortir de mon imagination. Même sensation quand je relis les passages où je cruise la jeune Manon. Et peu à peu, mon journal devient schématisé sous forme de tableau, avec des annotations brèves et des listes à puces. Étrange.
José (septembre 2023).

 

Le 20 mai 1980 (suite)

Après l’annonce du résultat, une manifestation spontanée des partisans du OUI défila sur la rue Sherbrooke en direction du Mont-Royal. De jeunes révoltés faisaient du vacarme. Colombe, Peter et moi sommes allés voir ça en se plaçant dans la cour de Roger. Quant à mon frère Serge et à sa blonde, ils montèrent dans la voiture de la nouvelle blonde du gros Marioparce que lui n’avait pas encore réalisé son rêve (voir bio-10 pour comprendre).

Quand leur voiture s’est mise à suivre la troupe de manifestants, je me suis mis à crier : « Ils sont pour le NON ! » Je savais que Mario se vantait d’être contre la souveraineté. Quatre jeunes réagirent à mes cris. Ils étaient assis sur les portes de leur voiture, les jambes à l’intérieur, le haut du corps à l’extérieur, ils s’accrochaient d’une main au toit du véhicule qu’ils tapotaient de l’autre main. En m’entendant, ils s’extirpèrent de leur automobile pour se diriger vers celle de Mario. La blonde de ce dernier accéléra pour s’éloigner rapidement. La voiture des jeunes manifestants l’a suivie sur quelques mètres avant de s’arrêter au milieu d’une intersection, en panne sèche. On les vit pousser leur voiture pour la sortir du chemin.

Quand la fin du cortège passa devant la cour de Roger, celui-ci et sa famille entrèrent chez eux. Quant à nous, Peter, Colombe et moi avons suivi la manifestation sur quelques rues. Juste assez pour voir nos jeunes à la voiture en panne siphonner l’essence d’une autre voiture stationnée pour ensuite, juste avant de partir, mettre le feu à cette voiture. Nous étions stupéfaits de voir la voiture brûler pendant quelques secondes seulement. Nous ne sommes pas restés longtemps sur place, mais je me rappelle que l’auto en feu avait une plaque d’immatriculation avec un gros NON rouge inscrit dessus.

Il paraît que d’autres autos ont été vandalisées le long du parcours qui se terminait à la montagne où, là, les policiers avaient dû intervenir équipés de leurs casques et de leurs matraques. Ils foncèrent dans le tas en frappant n’importe qui. Des journalistes ont été blessés et ont porté plainte le lendemain.

José poursuit son récit avec Serge qui brûle des drapeaux canadiens avant de se faire assommer par la police. Il tombe inconscient et se réveille chez une superbe jeune fille qui a pris soin de lui. Comme elle est toute nue en sortant de la douche quand il se réveille, il est tellement excité qu’il cherche juste à coucher avec elle. Quand il se rend compte qu’il est presque en train de la violer, il s’arrête net pour s’excuser. José écrit : « Il comprit qu’une fille n’était pas un jouet. Il se releva en s’excusant à nouveau puis, avant de franchir la porte, il prononça un mot dont il avait presque oublié l’usage : Merci ! ». La scène est clairement inventée parce que José ne pouvait pas en être témoin et que son frère ne s’en serait jamais vanté.

Finalement, José « n’agrémentais » pas beaucoup en parlant des journalistes blessés et d’une manifestation de jeunes (sauf, peut-être, pour la voiture incendiée), si on regarde les manchettes ci-dessous.

José se rend compte qu’il n’est pas tout seul à « agrémentir » : le titre ci-dessus de La Presse parle de 15 000 personnes dans les rues alors que, dans l’article lui-même, on parle de 1 500 jeunes. En plus, ils sortaient du Centre Paul-Sauvé où, selon un autre article de la même journée (21 mai 1980), un peu plus de 9 000 personnes s’étaient rassemblées.

 

 

Manon la ravissante,
          Manon l’intéressante :
Adolescente à la menthe,
          Adolescente succulente;
Nullement agaçante,
          Nullement effrayante;
Ornée de lèvres palpitantes,
          Ornée de cuisses alléchantes;
Naturellement amusante,
          Naturellement attrayante.

(José, 30 mai 1980)

José raconte qu’en allant chez Denise (la cousine de sa mère) avec Roger, ils rencontrèrent deux jeunes filles qu’ils essayèrent en vain de cruiser. La plus jolie s’appelait Manon avec qui José aurait supposément dansé un slow quand Bart (le mari de Denise) avait tamisé les lumières et mis de la musique dans leur cour arrière, jusqu’à très tard le soir. José se souvient encore aujourd’hui avoir passé plusieurs soirées de ce genre, cette année-là. Ils allaient parfois rejoindre Colombe qui gardait les trois enfants de Denise et ils restaient à jaser avec cette dernière quand elle arrivait du travail. Ils retournaient chez eux vers 1h du matin.

 

À suivre dans : Bio-20 : Journal aux puces
Fait suite à : Bio-18 : Souvenirs retrouvés


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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)


Fig. 1 : Manifestation le soir du référendum, le 20 mai 1980, dans La Presse1. Photographe : Robert Nadon.

Fig. 2 : Montage de José à partir d’articles de journaux (La Presse 1 et Le Devoir 2), dans : Bibliothèque et archives nationales du Québec. https://numerique.banq.qc.ca/

Fig. 3 : Une femme en robe blanche pose pour une photo. Photo de Invadingkingdom sur unsplash.com.

1 : Gagnon, M. (1980, 21 mai). 15 milles dans les rues pour oublier la défaite. La Presse, 96e année, no 120, cahier La réponse, p. 5. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2296960?docsearchtext=La%20Presse%2021%20mai%201980.

2 : Poirier, P. (1980, 22 mai). Trois représentants de médias affirment que la police de la CUM les a brutalisés. Le Devoir, Vol. LXXI – No 115, p.4. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2768801

 

N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.

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