Le 28 août 1979 (suite). Beau fantasme n’est-ce pas ? C’est ce que je m’étais imaginé tandis que je n’arrivais pas à m’endormir. Et ils n’arrêtaient pas de parler de leur réunion, du nombre de gens qui avaient accepté Jésus-Christ dans leur cœur aujourd’hui.
Ils racontaient ce que Dieu avait fait pour eux. Ils disaient qu’on avait tous un esprit à l'intérieur de nous et qu’il suffisait de le développer pour être en contact avec Dieu et qu’il nous comprenne.
L’un d’eux – je ne reconnaissais pas les voix – expliqua qu’il avait prié pour que son acteur préféré, John Wayne, soit sauvé. Et qu’il avait appris plus tard que Wayne avait confessé tous ses péchés avant de mourir. D’après eux, Elvis était sauvé lui aussi parce qu’il avait chanté des chansons de Jésus et que ça lui avait donné la foi. Après cela, il s’était mis à donner pour les handicapés. J’apprends aussi que nous pouvons demander n’importe quoi à Dieu, si on a la foi. Il suffit de croire et d’attendre. Si tu ne l’obtiens pas, c’est parce que tu l’as mal demandé. C’était si simple !
Quand la visite fut partie et les hôtes couchés, je réfléchis à ce que je savais de Dieu. Je ne pensais plus à France, je me recueillais pour parler à Dieu. Je commençai par le remercier de tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il nous avait donné à moi et ma famille. Il ne nous avait pas laissé mourir de faim. Tout avait fini par s’arranger et j’en était conscient. Je le remerciais du fond du cœur. Je priai ensuite pour tous les êtres aimés et détestés.
Je priais pour que ma mère ait moins mal aux pieds. Je savais déjà qu’elle serait sauvée à la fin de sa vie, mais je ne voulais pas qu’elle souffre ou qu’elle meurt rapidement ; nous avions besoin d’elle !
Je priais pour que Serge continue de travailler et qu’il lâche le derrière des filles.
Je priais pour un grand défaut qu’avait Jacques. Un défaut dont je ne peux pas parler, pour ne pas salir la réputation de cette famille. Je priais pour qu’il guérisse, parce que ses enfants en souffriraient si tout le monde connaissait ce défaut.
Je priais pour que Martine soit moins sévère avec ses enfants.
Je priais pour que Max et JC soient moins méchants avec leurs voisins.
Je priais pour que la bonne femme Laplante, notre voisine, soit moins dépressive et moins envahissante.
Je priais aussi pour que notre vieille sorcière de propriétaire ne soit pas détruite au jugement dernier. Cette vieille raciste qui semblait être contre la religion. Je me disais que ça ne devait pas être de sa faute, qu’en vieillissant on se laissait avoir par le démon.
Je priais même pour mes cousins, la famille d’Yvan. Je ne voulais pas qu’ils restent ainsi toute leur vie : hypocrites, insensibles, bébés gâtés, non charitables. Je désirais qu’ils changent pour ne pas gâcher leur existence.
Je priais ensuite pour que tout le monde soit heureux malgré leurs ennuis. Je me disais que si je n’étais pas le seul à prier pour tous les criminels et toutes les personnes du monde, Dieu les sauverait tous.
Puis je priais pour moi-même. J’avais les larmes aux yeux. Chaque fois que je demande quelque chose au bon Dieu, les larmes coulent ; je ne sais pas pourquoi. Je demandais à Dieu de me donner assez de force pour faire tout ce que je devais faire. Je voulais que Dieu me donne assez de puissance pour lâcher ma gêne et pour me grouiller avec plus d’assurance. Je lui demandais que ça se passe bien à l’école. Je lui demandais de me trouver un travail que j’aime. Je lui demandais de régler le problème de mes seins. Enfin, je lui demandais de me donner une blonde. J'avais besoin d’une amie sur qui je pouvais compter. Je suggérais surtout ma France.
Je lui parlai ainsi pendant au moins une bonne heure. Je finis par m’endormir en confiance, avec Dieu. Il devait être 3 h du matin. Et le lendemain, malgré ce que peut en penser Martine, personne n’a eu droit à ma baboune de marabout qui n’a pas assez dormi.
France de ma vie, France de mon cœur :
Rousse comme les feuilles de l’automne qui se meurt,
Ange aux grands yeux bleus qui reflètent le bonheur,
Nulle extrême beauté ne surpasse ta grandeur,
Chacun de tes pas te remet en valeur
Et mon amour pour toi est un pétale de fleur.
[José, 24 octobre 1979.]
Le 29 août 1979. Dernière journée près d’un cœur aimé. […] Colombe arriva vers 10h30, ce matin-là. Elle venait reporter son linge et se peigner. C’est là qu’elle me donne une photo de France. Elle lui en avait demandé une, et quand France lui donna, Colombe lui dit que je me contenterai bien de celle-là. France lui demanda si c’était pour elle ou pour moi et Colombe sourit en lui disant : « C’est pour moi bien sûr. » La photo était en noir et blanc, mais elle avait toujours ses longs cheveux, ses beaux petits yeux et son mignon sourire. Ses joues lui donnaient l’air d’être plus vieille et plus sérieuse, mais tout aussi belle. Il ne manquait que la couleur pour révéler la petite rousse que j’aimais tant. Je glissai la photo dans mon cahier. […]
Je me balance avec ma sœur en chantant à tue-tête.
« Je t’attendais, mon cœur était plus glacé que l’hiver.
Jour après jour, le ciel était triste et gris
Et chaque soir avait couleur d’ennui
Mais grâce à toi, j’ai pu refaire, mon univers.
Je t’attendais, depuis plus longtemps qu’une éternité
Et lorsque la nuit tu hantais mon sommeil
J’étais tout seul encore à mon réveil,
Mais je t’ai trouvé, on s’est aimé.
Aller viens, on va s’aimer tendrement,
Tout là-haut, sur un rayon de soleil
Aller viens, voir le printemps qui s’éveille
Dans le cœur des amants » 1
Cette chanson de Daniel Hétu me touchait tellement. Bientôt, Max et JC se joignent à nous pour chanter les chansons que nous connaissions le plus : J’aurais voulu être un artiste – Le blues du businessman, – L'arbre est dans ses feuilles, Une histoire d’amour…
Puis Colombe me dit qu’elle a demandé à France si elle m’aimait. Elle me décrit sa stratégie pour lui demander. Elle a commencé par demander à France si elle aimait l’art. Et après que France a répondu oui, Colombe lui dit : « comme José. » Elle lui demanda ensuite si elle aimait les enfants et quand elle répondit oui, elle ajouta, une fois encore : « comme José. » Et elle lui dit que j’en voulais 12. Enfin, elle lui demanda si elle m’aimait. France lui dit qu’elle n’avait pas envie de lui répondre à elle. Fallait donc que je lui demande moi-même pour en avoir le cœur net.
Une voiture arriva dans l’espace de stationnement. C’était Nat, France et leur mère qui revenaient du dentiste. Devant elles, qui semblèrent me trouver très drôle, je me suis mis spontanément à chanter : « Je t’attendais… » […]
En cette dernière journée de vacances, il pleuvait beaucoup et je la passai presqu’entièrement chez France. Je me promenais constamment entre le sous-sol pour jouer au billard avec Max et le salon, pour regarder la télé, la plupart du temps avec France et son frère Sylvain. Et j’en apprenais toujours plus à propos de France, comme le fait qu’elle aime les croutes toastées tout comme moi. […]
De retour chez France après le souper, je les entendis parler de moi. France essayait de savoir ce que Colombe essayait d’empêcher Nat de dire à propos de ce que j’avais dit. – Ah! José et ses phrases alambiquées. En me voyant, Nat me demande, en me chuchotant à l’oreille, si elle peut dire à France ce que j’avais pensé de sa photo. Je lui avais répondu : « pas de problème, il n’y a rien là ! ». Nat emmena France dans les toilettes pour lui dire un secret de Polichinelle. Quand France sortit des toilettes, elle me dit merci, avec un beau sourire. […]
Quand sa mère est sortie, je me suis retrouvé seul devant la télé avec France. Je l’observais du coin de l’œil. Je regardais ses belles jambes couvertes d’un beau pantalon brun, en Corduroy. Elle en roulait les bords comme c’était la mode. Elle portait un grand chandail de laine. Elle n’avait pas l’air de vouloir que ses seins soient apparents. Ils avaient l’air petits sous le chandail ample. Son profil était d’une grande beauté. J’aurais aimé me lever et, en m'assoyant près d’elle sur le sofa, lui dire ce que j’avais appris par cœur. Mais j’avais tellement peur ; je n’avais aucune confiance en moi. Je restais là, bien figé dans mon fauteuil, silencieux, gêné. Comme elle d’ailleurs. C’est vrai que Colombe m’avait dit que France était aussi quelqu’un de gêné.
Sa mère revint pour nous surprendre… à ne rien faire d’autre que regarder un film de pirates. Et c’est là que j’ai eu droit à une sorte de parade de mode. Sa mère sortait du linge qui venait d’une amie pour France. […] Elle tirait sur son pantalon pour nous montrer qu’il était trop grand. Elle dit que ce sont des 28 alors que d’habitude elle porte du 26. Mais, en réalité, ils semblent bien ajustés. « T’es folle, lui dit sa mère en riant, ils te vont très bien. » Je l’approuve vivement moi aussi, ce qui fait bien sourire France et sa mère.
Elle revint écouter le film avec moi. Une jeune princesse était amoureuse du héros depuis qu’il lui avait donné un baiser. Chaque fois qu’elle le rencontrait, même en danger de mort, elle le regardait amoureusement en lui disant : « Encore ! » Mais l’homme était déjà amoureux d’une autre femme. À la fin du film, la princesse lui redit « Encore », mais sa bonne à tout faire l’amène avec elle, loin du héros. L’amoureuse du héros regarde la princesse s’en aller puis se retourne vers lui, en disant : « Encore », et ils s’embrassent, tandis que le générique commence à défiler. Je regarde France et lui dit : « ENCORE », ce qui fit bien ricaner MA princesse. […]
Nat alla chercher un album et se mit à nous décrire qui était qui, comme si on ne pouvait pas les reconnaître. Quand elle montra des photos de France en la nommant, je lui dis : « n’aie pas peur, ça se reconnaît un si beau portrait ». Une fois encore, France me dit un beau merci. Elle me souriait tout en continuant de découper ses cartons. Je la regardais pendant que les autres portaient leur attention sur les photos. Elle était assise à l’autre bout de la table, en face de moi. Je ne voyais plus qu’elle. Les autres semblaient disparaître dans un nuage. France leva soudain la tête vers moi, comme si je l’avais appelée. Nos regards fusionnèrent profondément, pendant de longues secondes. Sans savoir si elle m’aimait vraiment, à cet instant-là, je me suis senti aimé. Soudain, Nat me tape l’épaule pour me montrer une photo couleur de toute leur famille. Quand mon regard retourne à France, elle est à nouveau concentrée sur ses cartons.
Tandis que Nat remontait à l’étage pour ranger l’album, je demandai simplement à France ce qu’elle était en train de faire. Et pour une rare fois nous avons parlé ensemble pendant plusieurs minutes. Elle m’expliqua qu’elle faisait un jeu. Elle faisait de nouveaux dessins pour remplacer les cartes trop usées d’un jeu qu’elle aimait bien. France essayait de dessiner une petite vieille et comme elle avait de la difficulté, je me suis rapproché d’elle pour l’aider. Elle me tendit la carte et les crayons. J’avais autant de difficulté qu’elle à dessiner la petite vieille. C’est Colombe qui réussit à sauver notre dessin collectif. Moi, j’essayai de dessiner un éléphant. France s’essaya sur une grosse madame qu’elle devait reproduire. Elle ne la trouvait pas belle malgré tout ce que disaient les autres. Je lui montrai mon éléphant. Elle dit spontanément qu’il était beau. Je lui dis : « vois-tu, moi, je le trouve plutôt laid. » Elle se contenta de me sourire. […]
La mère de France nous rappelle que nous devrions aviser Martine si Colombe veut rester. Elle était prête à l’accueillir pour une partie de la fin de semaine. Quand je vais voir Martine pour lui demander si c’était possible, elle me répondit qu’elle ne revenait jamais sur sa décision. Colombe avait décidé qu’elle partait le lendemain avec moi, elle allait partir. Je lui demandai donc si nous pouvions revenir samedi (j’avais des r-v importants à Montréal seulement jeudi et vendredi) et elle me dit que c’était impossible puisqu’ils allaient recevoir d’autre monde. Une fois de retour chez France, j’explique à tout le monde qu’on ne peut pas rester ici et que je trouve ça décevant. France me demande alors si j’aimais ça être ici. Je lui dis : « Oui, plus qu’à Montréal. » Mais je lui cache que si elle était à Montréal, j’aimerais mieux être là qu’ici. […]
Nat devait aller se coucher et France se préparait à monter. Je me levai pour annoncer notre départ. J’avais envie de l’embrasser mais je me contentai d’aller à la porte pour dire : « Bon, ben, bonne soirée. À bientôt ! Bonne fin de vacances. On se reverra ! » […]
Colombe et moi arrivâmes tristes chez Martine.
Ce soir-là, je m’endormis après une petite prière et sur ces mots :
Comme c’est triste de quitter
Notre plus grand amour
Sans même l’embrasser
Partant pour plusieurs jours
Mon amour
Reine de la beauté, Reine de la douceur
Une rousse étincelante aux cheveux ondulés,
Souples et soignés comme un bouquet de fleurs
Cueillies doucement dans un jardin étoilé ;
Princesse de la vue, Princesse aux beaux yeux
Bleus comme le ciel éternel frappé d’un soleil
Rayonnant sur terre tout près des hommes heureux
Qui s’amusent à merveille loin des grands sommeils ;
Tachée de petites taches, Tachée de rousseurs,
Rousseurs sur ses belles joues rondes et veloutées
Associant son sourire, enchantant frères ou sœurs ;
Finalement ses belles lèvres, Finalement la fraicheur,
Fraicheur à l’arôme palpitant de la menthe
Que j’aimerais goûter de l’amour de son cœur.
[José, 27 octobre 1979]
À suivre dans Bio-13 : Retour en arrière d’un sexagénaire en devenir
Fait suite à Bio-11 : L'été de mes 15 ans - première partie
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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)
1 : Extrait de la chanson Je t'attendais, premier single chanté par Daniel Hétu (1979). Paroles de Pierre Ladouceur et musique de Daniel Hétu. Sur étiquette Visa.
Fig. 1 : Montage infographique de José (février 2023) à partir d'une photo de champ de blé (de RObin sur www.pixabay.com).
Fig. 2 : Extrait de la photo de France. En 1978 ou 1979. Photographe inconnu.
N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.