Bio-11 : L'été de mes 15 ans - première partie

Bio-11 : L'été de mes 15 ans - première partie

José est surpris de constater que pour décrire 3 jours de vie à la campagne, près de France, l’ado qu’il était a utilisé 30 pages. Il décrit, avec des mots illisibles, chaque petite chose qu’il fait et toutes ses discussions à propos de France, parce qu’il passe plus de temps à en parler, que de temps à lui parler.

Au lieu d’aller voir France et son grand frère Sylvain, qui est de son âge à lui, il joue avec les plus jeunes en se disant naïvement que France doit être en train de l’admirer pour ses grandes habiletés parentales.

Le 27 août 1979. […] J’aimerais aller retrouver France et son grand frère, être capable de leur parler, discuter avec eux. Mais de quoi je pourrais bien leur parler ? Et si j’allais dire à France que je l’aime, peut-être que ça commencerait bien une conversation. Mais j’ai peur. C’est facile de réciter ce qu’on voudrait dire quand on est en ville, mais une fois sur les lieux, devant elle, ça bloque. […]

Nous allons nous baigner, mais je n’invite pas France : je ne veux pas la déranger. Avant cela, je m’amuse avec un ballon et une raquette de tennis en compagnie de JC (le fils de Martine, la cousine de ma mère), qui a seulement 10 ans, et de ses deux cousins, Claude et Michel, encore plus jeunes. Nous jouons dans le champ juste en face de la maison de France et j'espère qu’on puisse bien me voir de la fenêtre de sa cuisine. Je fais le bouffon qui saute partout pour faire éclater de rire les enfants et, peut-être, France. […]

Nous soupons après avoir fait la prière, chose que Martine et son mari font toujours depuis qu’ils font partie d’une secte (celle des pentecôtistes je pense). Je ne trouve pas ça ridicule. Tout le monde devrait le faire au moins une fois par jour pour remercier Dieu pour toutes les bonnes choses qu’il nous donne.

Après cela, JC, son grand frère Max, Samuel, son cousin Paul et moi, allons jouer au football. […]

Ah ! Ah ! Ah ! José se rappelle en riant de ce match de football américain. C’était la première fois de sa vie qu’il y jouait vraiment et il se souvient comment Paul prenait ça très au sérieux et devait arrêter constamment le jeu parce que José n’y comprenait rien. José rigole en pensant au moment où Max lui explique, pendant le caucus, le jeu qu’ils vont faire, mais qu’il n’entend aucun des mots qu’il prononce. Une fois sur le terrain, c’est du vrai n’importe quoi !

Et après une soirée chez France, à l’admirer et l’écouter parler avec son frère Sylvain sans lui dire un seul mot…

Nous disons bonsoir avant de partir. Arrivé de l’autre côté, Jacques (le mari de Martine) était en train de jouer de l’orgue. Puis, pendant que Colombe va se changer à la toilette, il arrêta la musique pour aller retrouver sa femme dans son lit. Colombe s’étend sur le sofa neuf alors que je dus pousser Biquette, la vieille chienne de la maison, hors du vieux sofa. J’enlevai mon pantalon et mon chandail quand Colombe se retourna, car je ne voulais pas qu’elle voit mes seins. Nous bavardons un peu de notre journée et nous nous endormons sur le chant des criquets.

José est encore un peu troublé en relisant cela. Parce que ça lui rappelle sa gêne avec ses seins. Mais surtout parce que c’est une de ses scènes où sa sœur devait se sentir en danger devant son agresseur. Et une autre phrase, un peu plus loin dans mon texte d’origine, lui fait penser que peut-être qu’il savait déjà ce qui se passait mais que sa sœur lui demandait de garder le secret. Un secret qu’il a gardé, jusqu’à l’oublier.

Le 28 août 1979. Quand le cadran de Martine sonne à 7 heures, je suis déjà réveillé. Jacques et Martine se lèvent. Je les observe en restant couché sur le sofa. Elle lui prépare à déjeuner pendant qu’il s’habille. Il vient manger pendant qu’elle prépare sa boîte à lunch. Il part après lui avoir donné un baiser. Elle retourne se coucher immédiatement après son départ. […]

Après le déjeuner, nous prenons une petite marche d’un mille et demi sur la Pomme d’or. Colombe et JC s’amusent à faire du pouce quand une voiture arrive à notre hauteur, mais Max et moi les empêchons avant que quelqu’un ne s’arrête. Nous avons observé des vaches que je m’amusais à imiter pour faire rire les autres jusqu’à ce que l’une d’elle, une grosse brune intimidante, me fixe du regard, semblant suivre chacun de mes pas. Comme si elle était « scotchée » à moi. Nous nous sommes enfuis en faisant un peu de jogging en direction de la maison.

Une fois sur le terrain de Martine, je vais me pratiquer à lancer le ballon de football avec JC tandis que Max et Colombe vont faire un tour chez un autre voisin. Quand Nat (la petite soeur de France) arrive, elle décide d’attendre le retour de Colombe avec nous.  Je lui demande si France est debout et si elle voudrait bien venir jouer au football avec nous. Évidemment, elle était encore couchée. Elle nous apprend que Paul est reparti et que Samuel est à l’hôpital pour de l’herbe à puce. Je m’assois sur une buche pour jaser, en gardant toujours un œil sur la maison de France.

Nous parlions de toutes sortes de choses, mais le plus drôle, c’était que les pantalons de Nat se détachaient et tombaient chaque fois qu’elle se penchait. À un moment donné, nous parlions de la petite chienne de Biquette, qu’ils avaient appelée Belle-Belle parce que c’était la plus belle de toutes. Je leur dis qu’ils auraient dû l’appeler France, en laissant entendre que c’était la plus belle fille d’entre toutes. Nat poussa un « Ah ! » suivi d’un petit rire un peu moqueur. Elle me laissa entendre que sa sœur n’était pas si plaisante que ça, qu’elle est toujours en train de crier et qu’elle n’aime même pas les enfants qu’elle va garder. Elle parle des enfants de Suzanne et Albert, Claude et Michel, ceux-là même que j’amusais avec un ballon hier.

Nat me dit aussi que personne n’aime mon frère Serge. Elle avait entendu France et Sylvain en parler un jour. France faisait remarquer que cela faisait longtemps qu’ils ne l’avaient pas vu et Sylvain avait répondu : « Bon débarras ! » J’avais beau dire à Nat que mon frère avait changé depuis qu’il travaillait, elle disait ne pas l’aimer pareil.

Puis vint l’heure du dîner chez Martine. Nat nous regarda, moi et JC manger un gros sandwich aux tomates. Après ça, nous retournons attendre les autres dehors, jusqu’à ce que ce soit le tour de Nat d’aller dîner. Nous la suivons pour aller jouer au billard dans son sous-sol. Quand Colombe arrive, elle est furieuse parce qu’elle a manqué le dîner. Martine est inflexible sur ses règlements ; sa politique est simple : la personne qui arrive en retard passe en dessous de la table. […]

Plus tard nous décidons d’aller nous baigner. Il y avait Michel, un ami de JC, ce qui rendait les jeux comiques parce que l'autre Michel, le jeune cousin de JC, était là lui aussi. Nat vient avec sa mère qui s’est retrouvée à venir nous surveiller. La politique de Martine était de ne jamais laisser personne se baigner sans un adulte surveillant, surtout quand il y avait des voisins, question de responsabilité. Sa mère ne pouvait pas rester plus d’une demi-heure, elle avait un souper à préparer. Nous jouons au « mort vivant », un jeu que j’avais inventé. L’un de nous se fermait les yeux et essayait d’en attraper un autre en faisant le mort vivant.C’était avant la popularité du jeu « Marco Polo ! »

Plus tard, au souper, Colombe dévora son pâté chinois comme une cochonne. Après le souper, je passe la tondeuse dans le petit champ à côté de la maison. Je voulais que France voie que moi aussi je pouvais rendre service, comme elle qui faisait le lavage. […]

À un moment donné, Max ne savait plus quoi faire d’autre que de retourner se baigner. Il alla même demander à France si cela lui tentait mais elle lui dit qu’elle ne pouvait pas puisqu’elle allait garder Claude et Michel. « C’est vrai », se souvint Max, « ils ont leur réunion ». Comme à chaque mardi, Martine, Jacques, Albert et Suzanne allaient voir leur groupe pour parler de la bible.

Nous ouvrons la télé et Martine, qui se prépare à partir, me parle de la décision que Colombe doit prendre : soit elle revient coucher ce soir pour rester jusqu’à dimanche où elle pourra dormir chez Nat, soit elle dort chez Nat ce soir mais repart jeudi matin avec moi. Colombe aurait aimé rester plus longtemps mais je savais qu’elle avait un problème qui l’empêchait de le faire... mais je ne peux pas en parler. […]

Nous nous retrouvons, Colombe, Nat, JC, Max et moi, à nous promener d’un terrain à l’autre, de chaque côté de la route, ne sachant pas trop quoi faire. Puis je décide de plaisanter.

  • Je crois que je vais aller demander à Albert si c’est lui qui vient nous reconduire jeudi matin.
  • Il est parti à sa réunion, me dit Nat.
  • C’est justement pour ça que j’y vais.
  • Ah ! Ah ! Je comprends. Mais c’est vrai, tu devrais y aller, tu serais seul avec elle.
  • Et non, son amie est avec elle.
  • Pas vrai, t’es menteur !
  • J’te le dis, va voir.

Colombe et Nat courent pour aller constater que, effectivement, France n’est pas toute seule. Elles reviennent pour me dire que j’avais raison et décide d’y retourner pour essayer de faire peur aux deux gardiennes. Comme elles arrivaient près de la maison d’Albert, une automobile s’immobilise devant celle-ci, le temps que l’amie de France sorte de la maison pour rejoindre ses parents. Tout le monde braque ses yeux sur moi : car France est maintenant toute seule. Mais je retourne m’assoir sur la balançoire.

Ils finissent tous par me rejoindre. Nat craignait finalement de se faire chicaner si elle faisait peur à France quand elle travaille. Colombe a envie d’aller chercher Samuel qui est chez un de ses amis pas trop loin, mais Nat n’a pas envie que Samuel soit là. Elle disait qu’il était trop énervé et que parfois, il était même maniaque, qu’un jour il avait lancé un marteau sur la tête de sa sœur. Colombe s’obstina avec elle pendant longtemps. JC et Max en rajoutaient pour défendre les idées de Nat. […]

Je finis par leur dire : « Ça ne vous arrive pas à vous de perdre la tête quand vous êtes frustré ? Il y a bien des choses que je n’aime pas de vous et je ne le crie pas à tout le monde. Toi Nat, quand tu as placé une grosse buche de bois qui tombait sur la personne qui osait entrer dans la grange sans prévenir, ce n’est pas stupide ça ? » Max riait comme un fou. « Et toi Max, trouves-tu ça intelligent de lancer un pot de vitre dans la face d’un gars ? » Je savais qu’il avait fait ça à Samuel juste pour un plat de fraise. Nat admettait que c’était stupide mais Max disait que ça avait été drôle. « Et toi JC, quand tu tiens Belle-Belle par le cou ou que tu fais mal à Boulle-Boulle (le petit frère de Belle-Belle), ou que tu lance des roches à Claude, Michel ou leur chien pour qu’ils retournent chez eux, est-ce que tu crois que je ne trouve pas ça maniaque moi aussi, mais je n’en parle pas ».

Il était maintenant 8h30 : Max et JC retournent chez eux pour être sûr d'être chez eux à temps pour leur coucher (à 9h00). Nous restons à nous bercer en bavardant. Je demande à Colombe ce qu’elle a décidé. Elle aurait aimé rester plus longtemps, jusqu’à dimanche, mais elle avait peur que je ne puisse pas revenir vendredi. Elle ne voulait pas être seule chez Martine et Jacques. Martine acceptait qu’elle couche chez Nat seulement la dernière journée avant le départ parce qu’elle savait que la famille de Nat se couche beaucoup trop tard et que les gens qui se couchent tard sont trop souvent marabout le lendemain. Colombe décide donc de dormir chez Nat ce soir et de retourner à Montréal avec moi jeudi matin.

Je m’assois tout seul sur le balcon un moment, le temps que Colombe prenne ses choses pour retourner chez Nat. Je regarde la maison où France est là, seule sur le sofa, comme si elle m’attendait. Je ne la vois pas mais je l’imagine bien. Je décide d’entrer et d'écrire un peu dans mon journal. Je me couche finalement parce que je pense que Martine va arriver bientôt. Je range mon cahier et referme les lumières.

 

 

Quand…

Quand je te vois les jours de vacances
Et que ma vue se blottit sur toi
Mon cœur semble devenir immense
Et mes yeux veulent cligner de joie

Quand je m’approche tout près de la grange
Et que tu n’es qu’à deux pas de moi
Mon âme s’élève comme un des grands anges
Et je me perds aux limites du bois

Quand je te souris, les pensées toutes grandes
Et que tu me réponds de tes doux yeux tendres
Mon corps large de partout s’ébranle
Et tout esprit craque pour aller se fendre

Quand je te parle dans les feuilles flottantes
Et que tu m’écoutes comme dans la foi
Mon texte s’embranche de fautes toutes en fentes
Et des puces russes me coupent la voix

Quand je touche à tes doigts scintillants
Et qu’elles ont la douceur de la soie
Mon amour vient de moins en moins lent
Et je me sens heureux toutes les fois

Quand je ressens ton ventre sous mon poids
Et que nos regards doucement s’aimantent
Mon système de vie alors se cimente
Et je ne songe à tous mes petits poids

Quand je saurai que je sens la menthe
Et que tu m’aimes à n’importe quel endroit
Mon petit monde sortira de sa tente
Et ira t’entourer comme un petit roi

Quand je pourrai te baiser chaque mois
Et sans la crainte mais dans la détente
Ma vie sera entièrement pour toi
Et nous nous aimerons encore à la fin des temps.

[José, 25 octobre 1979.]

 

 

 

Et soudainement, Martine, Jacques, Albert, Suzanne et deux de leurs amis entrent bruyamment dans la cuisine. Je ferme les yeux pour faire semblant de dormir. Ils allument, ce qui éclaire jusque dans le salon où je suis en train de « dormir ». Martine leur sert du gâteau, des rôtiesdes toasts, du pain grillé quoiet du café. Ça parle fort et ça rit aux éclats. Pire que ça, Jacque a voulu leur montrer comment il joue de l’orgue. Il était tellement fier de le faire devant eux qu’il a raté complètement son morceau. Ils rient tous de lui. La lumière du salon s’éteint juste après les affreux bruits de l’orgue.

Je pense à France, toute seule à attendre, pendant qu’ils sont là à siroter leur café. Je me dis que c’est le temp ou jamais. Je me lève pour faire semblant d’aller aux toilettes mais je sors par la porte de derrière, sans qu’ils ne me voient. De toute façon, ils sont bien trop occupés à anticiper combien ils vont avoir du fun à jouer au baseball avec les membres de leur secte la semaine prochaine.

J’arrive comme un ninja à la maison d’Albert et, après un moment d’hésitation, je m’apprête à cogner dans le carreau vitré de la porte. L’hésitation a dû être longue puisque la porte s’est ouverte avant que je ne le fasse. France était là, devant moi, me regardant de ses grands yeux bleus avec un regard interrogatif. Sans hésiter, cette fois, je me lance enfin :

  • France, je veux que tu saches que tout ce que tu aurais pu entendre de mon amour pour toi est vrai. France, je t’aime comme je n’ai jamais aimé une fille. J’aime tout en toi. Ta morale autant que ton physique. Tu es parfaite pour moi. Tu es absolument ravissante, gentille, aimable, respectable, polie, propre, travaillante et comique. Tu ne fumes pas, tu ne te maquilles pas, tu aimes la musique, le dessin et les enfants. Je t’aime comme un fou ! France, je ne pense qu’à toi, jour et nuit. Je ne te demanderai pas si tu m’aimes mais seulement si tu me détestes…
  • Bien sûr que non.
  • Alors, il se peut que tu réussisses à m’aimer un jour ou l’autre. Je voudrais seulement te dire que, si ce jour arrive, ne te gênes pas pour me le dire. Dis-le-moi, n’importe quand, n’importe où, n’importe comment, car je t’aimerai toute ma vie. D’accord ?
  • D’accord.
  • Et si ce jour n’arrive pas, je voudrais rester un bon copain. Je voudrais qu’on se voie et qu’on se parle plus souvent. D’accord ?
  • D’accord.
  • Bon, je ne voudrais pas te retenir plus longtemps. Et ils vont bientôt revenir. Je vais retourner me coucher. D’accord ?
  • D’accord.
  • Bonsoir !
  • Bonne nuit !

Elle dit ça, avant de me donner un doux baiser sur la joue. Imaginez-vous à quel point mon cœur battait la chamade. Je me sentais ivre de bonheur. Le chemin du retour vers mon lit se fit à la manière d’un ninja encore plus agile et rapide. J’avais réussi à éviter Albert et Suzanne qui retournaient chez eux et Martine et Jacques qui allaient se coucher. Cette nuit-là, je fis un sommeil sans rêves car, pour une fois, mon plus beau rêve était devenu ma réalité.

À suivre dans : Bio-12 : L'été de mes 15 ans - deuxième partie

Fait suite à : Bio-10 : Parc Belmont, temps qui passe et passe-temps

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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)

Fig. 1 : Montage infographique de José (février 2023) à partir d'une photo de champ de blé (de RObin sur www.pixabay.com). 

 

N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.

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