Autour du 25 juin 1979.
Maintenant, quelque chose m’intéresse davantage : la campagne. – Ben oui ! C’est ça qui t’intéresse ! Il est 7h40 du matin et il ne fait pas beau. Il fait très froid. Je ne crois pas me baigner aujourd’hui et je me demande si je vais voir France – Je me disais bien !
Je réponds tout de suite à ma question : il est un peu plus tard maintenant et je l’ai vue de loin. Elle partait avec son frère dans un camp de vacances, pour deux semaines. Je ne la reverrai sûrement pas.
Effectivement, je ne l’ai pas revue et nous en sommes à notre dernière journée. […]
J’aime beaucoup la campagne. C’est si plaisant. Je vais vous décrire les lieux. […] – No way José ! Le seul point qui l’intéressait dans ce qu’il décrit, c’est « une énorme maison blanche au toit rouge », la maison de France ! Vous n’avez qu’à regarder son dessin, une image vaut mille mots.
C’est tellement beau que j’y resterais toute ma vie. Le monde est si gentil. On nous offre un café presque à chaque maison – étrange pour un ado qui ne boit pas de café, j’imagine que c’est une image. On nous prête un tracteur pour labourer notre champ – je ne pense pas que José a été témoin de ça, je pense qu’il agrémente encore, qu’il décrit son rêve de vie à la campagne. On nous donne des échalotes, de la confiture de fraises… ce que personne ne fait en ville.
9 juillet 1979. Nous pensions tellement aller à la campagne, Colombe et moi, que nous nous sommes acheté une tente magnifique pour toute la famille. Nous voulions aller chez Martine en autobus, amener des vivres et camper sur son terrain sans trop les déranger, en ne lui demandant que de l’eau et le droit de se baigner. Hélas, elle a refusé parce qu’elle attendait déjà d’autres membres de sa famille. Elle nous donne rendez-vous pour le 16.
13 juillet. José est seul à la maison et il revient à son autre fantasme. Maintenant, j’ai vraiment décidé de devenir écrivain. Bien sûr, je devrai m’améliorer en « orthographie ». Alors je vais faire tous les exercices d’écriture – un ou deux peut-être – du vieux Manuel pratique de composition française 1.
15 juillet. Il fait vraiment beau. Nous avons installé notre tente dans le champ, à côté de la maison, juste en face de celle de France.
José a si souvent observé la maison de France qu’il a longtemps été capable de la dessiner de mémoire. Un jour, il en a fait un casse-tête/jeu de société. Il lui manque 3 cartes alors qu’il en a plusieurs en double, en plus d’une série de cartes incompréhensibles. Ne me demandez pas comment on y jouait, José n’a jamais écrit les règles. Il se demande encore aujourd’hui qui avait conservé autant de paquets de cigarettes (Export) et les avait découpés pour en faire des cartes. Sa mère fumait des Du Maurier, ce n’était probablement pas elle. À moins qu’elle ait accumulé les paquets de quelqu’un d’autre, comme son frère ou l’un de ses cousins qui venaient la voir pour se faire tirer aux cartes.
Nous avons eu de la chance, France et son frère sont revenus de leur camp. Colombe joue au piano avec France tandis que je fais une partie d’échecs avec son frère. Ça me donne l’occasion de regarder France. Hélas, je ne suis pas doué et je n’ai pas confiance en moi – il se contente d’être pâmé sur elle, incapable de lui parler.
Je l’aime vraiment mais j’ai peur qu’elle ait déjà un vrai ami. Faut dire que je ne viens pas souvent. De toute manière, si nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble, Dieu nous trouvera quelqu’un d’autre. Mais elle, si elle m’aimait, je serais d’accord à moins d’un changement contraire. Enfin, je souhaite qu’elle ou une autre m’aime vraiment.
Le 18 juillet, José a joué avec France une bonne partie de la journée. Avec France et tous ceux qui étaient là : Colombe, Samuel, une amie et un cousin de France.
C’est notre dernière journée et nous voulions en profiter. France est arrivée avec une amie pendant que je jouais au billard avec son frère. Nous allons nous baigner, mais France ne joue pas avec nous comme la dernière fois. Elle dit qu’elle ne veut pas se mouiller la tête car elle est obligée de se laver tout de suite après, pour éviter que ses cheveux ne deviennent collants. Plus tard, nous voulions jouer dehors avec eux, pendant que Max et J-C (les garçons de Martine) allaient se coucher – Pour José, Martine semblait sévère avec ses deux garçons : ils devaient se coucher tôt parce que, selon elle, ils n’étaient pas assez de bonne humeur le lendemain après avoir veillé trop tard.
En premier, nous jouâmes à la cachette. Le cousin de France suggère la cachette BBQ, ce qui signifiait qu’on pouvait embrasser la personne que l’on trouve. France, son amie et moi avons tout de suite dit que nous étions trop vieux pour jouer à des stupidités pareilles.
En fait, les filles ont parlé et José a hoché la tête pour les appuyer alors qu’il mourrait d’envie de découvrir la prochaine cachette de France. Il a dû se contenter de courir après elle dans des jeux de poursuites, de tague et différentes versions de la cachette.
19 juillet 1979. Je me lève vers 6h00 du matin. Nous ramassons nos affaires, déjeunons et emballons la tente. Nous essayons de nous baigner, mais il fait trop froid. Je vais m’assoir en face de la maison au toit rouge, de l’autre côté de la rue. La maison de France semble être dans un paisible sommeil. Rien ne bouge sauf quelques chats. Dans le ciel, des milliers d’oiseaux au ventre jaune volent dans une mélodie d’amour. Je pense à elle et j’ai peur de ne jamais la revoir. Il est maintenant 9h00, le temps de partir […]
Une fois arrivé chez moi, nous laissons tout traîner. Martine va conduire ma mère et Colombe chez le dentiste. Je reste seul à la maison. Je pense encore à France. Je l’aime. Je voudrais toujours l'avoir près de moi, me serrer contre elle, l’embrasser. Enfin ! Il avoue ! Si j’habitais près de chez elle, on irait à la même école. Je pourrais l’aider – l’aider parce qu’il pensait qu’elle n’était pas bonne à l’école ? Hélas, je vis trop loin d’elle et c’est « plate ». Je n’aime pas Montréal et les gens qui y habitent. Ici, on ne peut parler à personne – Parce que tu n’oses pas le faire ! Là-bas, tout le monde nous offre une tasse de café – c’est vraiment une obsession, ce café ! Ici, je n’ai pas d’ami ; là-bas, tout le monde se fait du fun avec moi. Ici, je ne peux pas me baigner à cause de mes seins ; là-bas, je saute dans la piscine avec juste un chandail sur le dos. Ici, je ne sors presque jamais ; là-bas, je suis toujours dehors. Conclusion : je me sens mieux près de St-Antoine et de France. Ici, je m’endors et je ne fais rien; là-bas, je joue avec des amis, j’aide ma mère pour les tâches et je me baigne en toute liberté.
Aujourd’hui, je m’écrase dans mon lit pour écrire ceci. Je ne crois pas écrire davantage avant 2 semaines – s’il peut retourner voir France – alors je vous dis à bientôt ! Je vais dormir, manger, dormir et manger de nouveau, jusqu’à ce que la joie revienne.
À suivre dans : Bio-9: Lettres de la mère morte
Fait suite à : Bio-7: Ma naissance
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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)
1 : Beauregard, J. (1959). Manuel pratique de composition française - Tome 1. Classiques Hachette, Paris, 356 pages.
Fig. 1 : Extrait du casse-tête / jeu (voir fig.2). Dessins et photo de José.
Fig. 2 : Casse-tête / jeu de société inspiré de la maison de France, créé en 1979 ou 1980. Dessins et photo de José.
N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.